Entretien avec l’écrivain et photographe Gérard Macé (II)

A.H. : Jusqu’à l’âge de cinquante ans, vous n’avez pris des photos que des passants. Pourquoi des passants, puisque l’image les fige ?

Non, c’est parce que des passants me demandaient de prendre une image pour eux. Avant, je n’avais pas d’appareil et je n’ai commencé à prendre des photos qu’à cinquante ans. Mais j’aimais beaucoup la photographie, j’allais voir des expositions, j’avais des amis photographes, de grands photographes, c’est pour cela que je ne photographiais pas. Et puis, les circonstances ont voulu que la photographe espagnole avec qui j’ai été à Rome pour illustrer mon livre sur la Rome baroque, me voyant regarder, m’ait convaincu de photographier moi-même. Elle a trouvé l’appareil qu’il me fallait, que ma femme a acheté. اa a été un complot féminin. Il y a dix ans de ça.

A.P. : Pourquoi vous avez commencé à photographier ?

Comme je l’ai dit, cela m’intéressait depuis longtemps, et puis j’avais sans doute envie de passer à l’acte, et parce qu’on a trouvé l’appareil qui me convenait. Au fond, je n’aime pas la technique. La technique est pour moi un obstacle. Donc, quand on m’a offert un appareil excellent mais parfaitement automatique, j’ai pu m’y mettre.

A.H. : Est-ce qu’il y a un rapport entre votre travail de photographe et votre travail littéraire ?

Oui, il y a deux rapports. D’une part, quand j’ai commencé à photographier, l’isolement que provoque le fait d’écrire commençait à me peser, à m’être pénible. Et en même temps, j’aime me promener. Donc, la photographie me permettait de sortir avec un bon prétexte, un bon motif plutôt, d’aller à la rencontre du hasard, et j’aime beaucoup cela. Par rapport à la littérature, je vois un rapport très étroit entre la photographie et la poésie ; cueillir ce qui survient, être attiré par quelque chose dont on ne sait pas encore ce que ce sera, c’est une démarche poétique, et d’autre part, c’est un instant, le poème aussi, on peut mettre trois mois à l’élaborer le poème, peu importe, mais c’est quelque chose qui est quand même de l’ordre de la révélation dans l’instant, et dans la photographie, telle que je la pratique en tout cas, aussi. Il y également, dans la photographie classique, ce temps de latence entre la prise de vue et le développement. Il y a un phénomène très mental dans la photographie, c’est l’esprit qui photographie, ce n’est pas l’appareil. L’appareil n’est qu’un auxiliaire. Et par exemple, quand j’écris, en particulier quand j’écris des poèmes, je ne prends jamais aucune note, je n’écris pas en travaillant. L’appareil permet de ne pas travailler, il suffit d’appuyer, et de même, la poésie est quelque chose qui se fait presque tout seul, en soi, qui vient.

A.H. : Est-ce que vous avez une imagination bâtie sur la vue, sur l’image ?

Beaucoup. Et avant même de pratiquer la photographie, j’étais attiré par la peinture, j’ai même écrit et lus bien des poèmes en prose où l’image compte beaucoup, en particulier dans le livre qui s’appelle Bois dormant, qui est en livre de poche maintenant ; l’image de l’Annonciation dans les peintures italiennes, en Toscane, a beaucoup compté, mais il y a beaucoup d’autres images qui m’ont inspirées. J’aime beaucoup voir. Cela joue un grand rôle pour moi, l’image de rêve également, que j’aime beaucoup ; plus même que le récit et le rêve, c’est l’image qui compte. J’aime également le cinéma, parce que la qualité, au sens neutre du terme, de l’image du rêve et de l’image cinématographique m’intéresse beaucoup. Il y a quelque chose d’une vue de l’esprit.

A.H. : Est-ce également pour cela que vous réfutez le Nouveau Roman ?

Non, ce n’est pas seulement pour cette raison parce que dans le Nouveau Roman, on pourrait dire qu’il y a un détail de la description qui serait assimilable à une forme de vision. Non, le Nouveau Roman, d’abord ça m’ennuie, tout simplement. C’est une première réaction parfaitement subjective, je le reconnais. D’autre part, je n’ai pas de goût pour les théories, les contraintes, les mots d’ordre, les slogans et dans le Nouveau Roman, il y avait quelque chose qui ressemblait à tout ça. Pour moi, c’est antipoétique au possible.

A.H. : Vous avez dit que la littérature a maintenant du temps à consacrer à elle-même. Que devrait-elle faire ?

Je ne sais pas quelles sont les missions de la littérature. Je le sais mieux pour le passé que pour le présent et encore plus que pour l’avenir. Je parlais surtout de la situation des écrivains, mais au fond, on les laisse tranquilles, aujourd’hui, les écrivains, on leur demande d’écrire et c’est tout.

On leur demande beaucoup moins qu’autrefois de s’impliquer dans la vie sociale et politique ou religieuse, la vie publique. Donc, c’est une forme de liberté mais une liberté en même temps chèrement payée puisque nous sommes moins audibles. Alors que devrait-elle faire ?

A.H. : Est-ce que les écrivains n’ont pas eux-mêmes abdiqués ?

On peut se poser la question. Cela est sans doute en réaction aussi à toute une idéologie de la littérature engagée ou de la littérature proche du parti communiste, pendant un temps en France, qui a donné des catastrophes littéraires, sans parler des catastrophes politiques et donc, on a été un peu échaudé, dans ma génération. Maintenant, il y a des gens dont la littérature est plus directement politique que la mienne, ça existe tout de même, mais dans l’ensemble, beaucoup moins. Alors, est-ce que c’est une abdication ? Je ne suis pas sûr. C’est aussi que la littérature, dans le monde du spectacle où nous sommes, a du mal à jouer un rôle, parce que la littérature, c’est le contraire du spectacle, tout le contraire.

C’est quelque chose de l’ordre de l’intime, de l’ordre du recueillement et donc, même à la télévision par exemple, on ne sait pas quoi faire avec les écrivains, avec la littérature, avec les livres. Que voulez-vous faire ? Montrer la tête de l’écrivain, le faire parler lui-même de son livre, cela lasse tout le monde très vite et en plus, ce n’est pas le plus intéressant ; de la critique littéraire à la télévision, cela ennuie aussi, et les spectateurs s’en moquent. Bref, la littérature, c’est de l’anti spectaculaire par essence, la lecture tout simplement, sans parler de l’écriture, est au contraire une activité solitaire, intériorisée, on élabore un monde intérieur en lisant, mais un monde intérieur qui n’est pas seulement le sien. Le charme de la lecture, c’est que l’on rencontre aussi un autre monde ou le monde de quelqu’un d’autre. Donc, cette conversation silencieuse qu’est la littérature, fondamentalement, est évidemment étouffée par tous les bruits du monde actuel et la distraction généralisée. La lecture par exemple ou l’écriture se font sur un temps long. C’est une concentration. Le monde d’aujourd’hui est fait au contraire pour nous distraire sans arrêt, pour nous aliéner. Donc, le seul fait d’écrire ou de lire est une résistance. Je vais aller jusque là. Cela se voit même de façon pratique, quand vous prenez le train en France, on ne peut plus lire, tout le monde écoute des trucs, téléphone, etc. on se sent minoritaire et presque réprouvé.

A.P. : Mais la jeune génération, est-ce que vous pensez qu’elle partage la même envie envers la littérature ou la littérature contemporaine ?

Ecoutez, il ne faut pas se faire d’illusions rétrospectives. Cela a toujours été tout de même minoritaire ; mais c’était davantage respecté qu’aujourd’hui. Quant à la jeune génération, je ne la connais pas assez bien. J’ai un fils, qui a trente et quelques années, qui est très littéraire, et musicien en même temps. Donc, évidemment, si je prends son exemple, tout va bien. Il y a encore des lecteurs, je suis invité dans les universités et je rencontre encore de jeunes lecteurs. De ce point de vue, il n’y a pas de problèmes. Mais que la littérature soit une attirance pour beaucoup, ça, certainement pas, non.

 

A suivre ....

 

La Source: www. Tehran.ir

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